lundi 17 février 1997

Vitrolles : une écharpe pour deux

Catherine Mégret est devenue, hier, le quatrième maire FN.
Ce fut comme prévu. Caherine Mégret fit entendre son rire incandescent d'écolière turbulente et Jean-Jacques Anglade fit voir son écharpe immaculée. Catherine Mégret entra, à 10 heures du matin, dans la salle de l'hôtel de ville aux murs marron triste, sous les acclamations. Jean-Jacques Anglade en sortit une heure plus tard sous les huées. Entre-temps, elle avait été officiellement élue maire de Vitrolles ; lui ne l'était plus.

Dans le dos de madame le maire, se tenant sagement assis à un petit bureau de fortune, les bras croisés et la bouche close, comme un élève mis au piquet, ou plutôt comme un surveillant observant sa petite classe dissipée, prêt à rétablir l'ordre si nécessaire, un petit homme silencieux vers lequel tous les regards convergent : Bruno Mégret. Pas ceint de l'écharpe tricolore, lui, bien sûr, mais personne n'est dupe. Ni son épouse qui se tourne régulièrement vers lui, ni Anglade qui en fait la cible de sa première déclaration d'opposant : « Je voudrais présenter un point d'ordre. Ceux qui ne sont ni élus ni fonctionnaires municipaux ni journalistes doivent quitter cette salle. C'est la loi. La loi républicaine que je vous demande de faire respecter. » Mais personne n'a cure du « point d'ordre » du maire sortant. Il insiste. On entend un cri : « Vous êtes un minable ! »

Brouhaha moqueur

Les résultats de l'élection sont égrénés d'une voix monocorde. La doyenne du conseil municipal commence son discours. Elle évoque les années passées à Vitrolles, et la nostalgie d'un temps où « l'on ne fermait jamais les portes à clef... » Quand elle a fini, Catherine Mégret s'exclame : « Bravo Huguette ! » On s'embrasse. On se congratule. on vote. Pour la forme. Catherine Mégret est élue maire de Vitrolles. Elle ceint l'écharpe tricolore, qui s'accorde assez bien avec le bleu-mauve de sa veste. « C'est pensé », rigolera plus tard, son mari.

Assis en face d'elle, Jean-Jacques Anglade s'efforce de marquer son territoire de chef de l'opposition municipale : « Nous avons perdu une bataille, mais pas la guerre... » La suite se perd dans un brouhaha moqueur. Dans la salle, ça siffle, crie, hurle, rigole, tape des mains. On voit un conseiller municipal du FN sauter comme un cabri sur sa chaise, hilare, applaudissant à tout rompre. La doyenne, Huguette Batut, rabroue le maire sortant, sévère : « Vous n'avez plus le droit de parler maintenant ! » Derrière, dans le public, on crie des « on a gagné », ou des « en prison », et des « avec Tapie ! ». Déjà, Anglade s'est levé, suivi de ses rares colistiers. Il sort, avec un dernier signe de la tête aux journalistes. « Il n'a pas supporté cinq minutes ce qu'on a supporté pendant un an et demi », commentera, un tantinet méprisant, Bruno Mégret.

Mais, dehors, le battu du jour n'entend plus. Il tient un rapide point de presse, la tête penchée vers les micros qui se tendent, le bras qui obstrue l'oeil d'une caméra dont il refuse qu'elle le filme. A quelques mètres de là, les jeunes militants de « Ras le Front » scandent des slogans rageurs contre le Front national. « La Marseillaise », « l'Internationale » ou « Le chant des partisans » sont entonnés sans que les paroles ni les notes soient toujours bien justes. Mais on crie : « Front national, fasciste », ou encore : « Nous sommes tous des immigrés », et cela suffit. Quelques militants du FN leur rendent copieusement leurs insultes et leur haine. Autour, les forces de police, en nombre impressionnant, ne cillent pas.

Slogans rageurs

Dans cette partie convenue, chacun joue son rôle avec plus ou moins de talent. Les militants de « Ras le Front » jouent à « no pasaran ». Anglade joue à la victime du « sectarisme fasciste ». Et, dans la salle, Catherine Mégret joue à madame le maire. Réconciliation, maire de tous les Vitrollais, assainir les finances de la ville, rétablir la sécurité, améliorer le cadre de vie, ses mots sont ceux, volontairement banals, de tout maire dans n'importe laquelle des 36 000 communes de France. A côté d'elle, Hubert Fayard, élu sans surprise premier adjoint, sait déjà qu'il lui reviendra de faire tourner la boutique. Un audit financier est prévu, pour une ville très endettée ; et un service d'appel téléphonique mis en place, pour des habitants très angoissés.

Derrière eux, Bruno Mégret ne cesse de répondre aux micros et caméras qui se tendent. Il sera « conseiller spécial » auprès du maire. Il dirigera la liste du département pour les élections régionales. Il sera aussi candidat aux législatives. « Je n'ai plus de problème de cumul des mandats », s'amuse-t-il. Plutôt content de lui, Mégret, et de sa trouvaille, Catherine : « D'une attaque, nous avons fait un atout. Ceux qui croyaient nous gêner nous ont aidés. »

L'après-midi, il s'est rendu sur le rocher qui surplombe Vitrolles, où ses amis avaient déployé au vent un drapeau tricocolore long de 10 mètres. Nostalgie, symbole, image : Mégret fait sans cesse de la politique. Et ses adversaires ?

Eric ZEMMOUR

© 1997 Le Figaro. Tous droits réservés.

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